Céline Nègre, qu’est-ce qu’un avocat ?

17/02/2017 11 minutesPartager sur

Céline, avocat au sein de son propre cabinet – le cabinet Céline Nègre – a accepté de répondre à nos questions sur son métier.

En quoi consiste votre métier ?

Je suis avocate. J’ai créé mon propre cabinet il y a un peu plus d’un an. Je m’occupe exclusivement des victimes d’accident et d’attentat, ce que l’on appelle dans le jargon juridique « la réparation du dommage corporel ». L’expression est d’ailleurs mal choisie, car cela n’inclut pas uniquement les blessures du corps. Il y a aussi l’impact psychologique, l’impact financier, etc.

Concrètement, je conseille et je représente les victimes d’accident et d’attentat dans les procédures d’indemnisation. L’objectif est d’identifier avec précision les préjudices subis sur le plan physique, mais aussi au niveau psychique, dans la vie professionnelle ou scolaire et les difficultés financières qui peuvent en découler. J’ai développé une manière de faire différente de la plupart de mes confrères : je fais très peu de contentieux, c’est-à- dire que je vais très peu devant les tribunaux. J’organise l’ensemble de mon accompagnement juridique autour du ressenti des victimes. Elles ont souffert, elles continuent de souffrir, et ont besoin de se réparer, de manière intime. La bienveillance, l’écoute et la pudeur sont donc essentielles. Or, une procédure devant un tribunal est quelque chose de lourd, de dur et de chronophage. Je privilégie l’humain, l’écoute du besoin de reconstruction des victimes, le besoin de tourner la page, et donc je négocie directement avec les assurances, en demeurant autant que possible dans une procédure amiable.

Si vous deviez décrire une journée type ?

De manière générale, il y a assez peu de journées types dans le métier d’avocat. Dans ma spécialité, les journées sont cadencées par le temps consacré aux victimes. Le plus souvent, ce ne sont pas mes clients qui viennent à mon cabinet, mais moi qui me déplace chez eux. Mon temps est aussi largement pris par les expertises médicales, auxquelles j’accompagne les victimes après les y avoir soigneusement préparées. Le reste du temps est consacré à la partie analyse et traitement des dossiers en eux-mêmes, être en contact avec les assurances que ce soit au téléphone, par courrier ou en rendez-vous.

Enfin, il y a une dernière partie non négligeable dont un avocat doit s’occuper : il s’agit de la partie gestion du cabinet. Car, quand on a son propre cabinet, il est nécessaire de gérer toutes les petites choses du quotidien : à la fois le matériel (papeterie, cartouches d’encre, connexion internet, etc.), mais aussi la relation avec les banques – c’est-à- dire toutes la partie administrativo-financière du cabinet en lui-même. Cette dernière partie est très importante. Il est essentiel de l’assumer avec soin et avec une grande régularité.

Quel a été votre parcours pour arriver à ce métier ?

J’ai eu un parcours assez original. Mais la même formation de base est nécessaire pour tous les avocats. Tout d’abord, il est nécessaire d’obtenir un master en droit (plutôt master 2 que master 1) – donc cinq ans d’études en faculté de droit – puis faire l’école d’avocat, qui dure à peu près un an (il faut compter un peu plus avec la préparation et les délais de l’examen d’entrée). L’école d’avocat se termine par un examen de sortie. Tous les candidats reçus peuvent alors prêter le serment de l’avocat.

Personnellement, après mon master 2 j’ai fait un doctorat en droit international. J’ai également enseigné et mené des activités de recherches universitaires pendant plusieurs années en France et à Montréal. Mais la lourdeur universitaire a eu raison de mon intérêt pour ces activités. J’ai alors passé le Barreau, prêté serment, et intégré un cabinet, avant de créer le mien quelques années plus tard.

 

Quelles sont pour vous les qualités requises pour exercer votre métier ?

Dans ma spécialité, il est important d’être très concerné par la souffrance des autres. Il faut savoir faire face et réagir à cette souffrance, tout en gardant la distance nécessaire. Il est essentiel de savoir écouter, d’être pudique, simple, authentique et empathique. Ce qui est important, pour la partie purement « avocat », est de savoir travailler de manière indépendante, en investissant pleinement l’aspect entrepreneur du métier, le côté « j’invente ma manière de faire ». Cette dimension entrepreneuriale est réelle, et ouvre de considérables perspectives. Elle nécessite aussi de se discipliner au quotidien.

 

Qu’est-ce qui fait que vous aimez votre métier ?

Il y a deux choses essentielles qui font que j’aime mon métier. Tout d’abord, les aspects humains, ce qui recouvre la discipline dans laquelle j’exerce et la manière que j’ai de l’exercer. Les deux sont très en phase avec mes valeurs personnelles. Le métier d’avocat est présent en permanence dans la vie de celui qui l’exerce – nous sommes 24h sur 24 des avocats. Il est donc important que l’exercice professionnel soit en phase avec vos valeurs personnelles. En ce qui me concerne, je me sens au bon endroit, exactement là où je voudrais être. J’éprouve un sentiment de justesse, nourri par un sentiment d’utilité, qui me donne de l’énergie chaque jour.

La deuxième chose est la liberté, l’indépendance. Elle coûte très cher : être avocat, avec son propre cabinet, signifie avant toute chose que vous devez générer vous-même vos propres revenus en trouvant des clients, de manière continue. Tout cela est donc assez fragile et tout peut s’écrouler du jour au lendemain. Mais la possibilité de faire les choses telles que je les vois et comme il m’apparaît utile et efficace de les faire dans le monde actuel vaut bien le prix à payer. Et puis le monde des avocats est en pleine mutation, du fait notamment de la révolution numérique. Beaucoup de choses changent et ouvrent en grand les portes des innovations possibles.

 

Si vous deviez changer quelque chose dans le métier ?

Ce serait la partie gestion de cabinet. Les professions libérales en France impliquent la perception d’honoraires, dont il faut consacrer la moitié à payer les charges et les impôts, qui sont à régler tout au long de l’année. Je trouve que tout cela a un côté un peu archaïque. C’est l’opposé du salaire versé par un employeur, dont toutes les charges sont déjà déduites. Tout cela oblige à consacrer du temps et une gymnastique financière à une gestion qui pourrait être simplifiée. Il me semble que cela devrait être retravaillé. La transformation du système des charges pourrait également être doublée d’éléments de formation sur la gestion des cabinets.

 

Avez-vous une anecdote à raconter ?

Ce serait non pas une anecdote au sens d’un événement drôle ou qui ferait sourire. Ce serait plutôt un moment plein de douceur et de compréhension. L’un de mes clients était un adolescent victime d’un accident de voiture. Les circonstances étaient assez terribles : ils étaient plusieurs dans la voiture, amis et membres de la famille, et tous ont été accidentés. Heureusement, tout le monde a survécu, mais tout le monde a été bien amoché. Lui (mon client adolescent), était le moins gravement blessé de tous, ce qui le faisait beaucoup culpabiliser. J’ai fait en sorte d’aller le plus vite possible pour « liquider » son indemnisation – selon les termes très laids de la procédure juridique -, c’est-à- dire de mener les expertises médicales nécessaires, obtenir les rapports, discuter avec l’assurance, etc. J’ai décidé pour son cas à lui de le faire très en douceur, car il n’avait que 15 ans.

Nous nous sommes donc retrouvés, l’inspecteur d’assurance et moi seuls autour de la table, à mon cabinet, et au cours de la négociation il m’a regardée et m’a dit : « Maître…Vos demandes sont très raisonnables ! ». Je lui ai répondu que les montants correspondants aux préjudices de cette jeune victime étaient ceux-là, selon la jurisprudence et que nous n’étions pas rassemblés pour une séance de négociation de marchands de tapis. Il ne servait à rien que nous passions 3 heures à nous battre, moi exigeant des sommes impossibles à obtenir d’après le droit applicable, et lui refusant catégoriquement, pour ensuite baisser/monter chacun de notre côté jusqu’à parvenir à un accord, qui aurait pu être moins favorable à la victime que ce que nous avons finalement convenu. C’est du traumatisme d’un adolescent, dont il est question. Risquer de bloquer la situation fait courir un risque qui peut être très préjudiciable à la victime. Bien entendu, il existe des cas complexes dans lesquels les négociations peuvent être longues et assez difficiles, mais dans les cas simples (sur le plan juridique, parce que pour la victime, ce n’est jamais « simple »), il est vraiment important d’aller droit à l’essentiel et d’éviter les attitudes de confrontation.

Alors, quand vous avez en face de vous un inspecteur d’assurance qui vous regarde avec un grand sourire en vous remerciant et en vous disant que c’est un plaisir de travailler avec vous, tout le monde est satisfait, les choses vont vite et se font dans l’apaisement. La victime se sent reconnue, elle peut passer à autre chose, tandis que l’assurance ne se sent pas méprisée, comme si elle était un distributeur de billets, donc elle règle rapidement les sommes convenues. Face à des circonstances de destruction, de peur et d’accablement, participer au fait d’apporter une solution tout en douceur est une très grande satisfaction pour moi… surtout quand il s’agit de redonner le sourire à un adolescent de 15 ans.

Et c’est là que vous pouvez constater ma manière de faire : je considère que les assurances et les avocats des victimes ne sont pas des adversaires, mais des partenaires au service des victimes. Cela ne sert à rien de demander 250 000 € pour un préjudice indemnisé à hauteur de 25 000 euros par les tribunaux. Alors que quand on opte pour la transparence, le raisonnable, la justesse, on évite les conflits, et on apporte l’apaisement. Pour reprendre mon exemple, à la fin de notre entretien, quand j’ai proposé un montant un peu plus élevé pour l’un des postes de préjudices, le représentant de l’assurance a accepté sans difficulté. C’était une demande raisonnable, présentée de manière fondée, sans aucun jugement ni agressivité, elle a donc été acceptée tout de suite. Conclusion ? Il nous a fallu moins d’une heure pour aboutir au résultat voulu, sans se battre, sans confrontation et sans accuser les assurances d’être les grands méchants. En préparant soigneusement ses dossiers, en étant toujours prêts sur le fond et en abordant l’autre avec ouverture et bienveillance, sans idée préconçue ni procès d’intention, on obtient ce à quoi l’on aspire, tout simplement.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut faire votre métier ?

Je dirais qu’il est important de bien se former, à la fois en pratique et en théorie. Il est important de rapidement faire des stages, même si les premiers, en licence, ressembleront sans doute un peu à des « stages café/photocopies ». Il est impossible de confier des choses à faire juridiquement complexes à de tout jeunes stagiaires. Mais pour les stagiaires, il est essentiel de « sentir » ce qu’est un cabinet d’avocats, ne serait-ce qu’en y passant quelques semaines au début. Pour percevoir l’atmosphère, voir ce que font concrètement les avocats, comment s’organise une journée, etc. Ensuite, au niveau Master, les stages « techniques » viendront, où les stagiaires peuvent se voir confier la réalisation de tâches quasiment comme de jeunes avocats.

En parallèle, il est important aussi de bien s’investir dans la formation théorique, à l’université et à l’école d’avocat. Un avocat est avant tout un juriste, qui doit bien connaître les règles de droit.

Enfin, être avocat est un métier très prenant. Il m’apparaît donc essentiel d’être en phase avec ses valeurs personnelles dans ce métier peut-être plus encore que dans d’autres. Si vous faites quelque chose qui vous heurte, cela vous prendra trop d’énergie et l’amertume ou la déprime risquent de s’installer.

Au final, le plus important est de foncer et de dépasser ses peurs. Être conscient des difficultés, sans trop s’y arrêter non plus. … Et surtout de ne pas se faire piéger par les idées préconçues. Sous l’influence des séries américaines, nombreuses sont les personnes à croire que les avocats en France sont « comme à la télé »… alors que c’est tout à fait faux. Les séries relayent des avocats qui exercent essentiellement en droit pénal, et dans le système américain.

Pourtant, la majorité des avocats en France exercent dans bien d’autres domaines (droit de la famille, droit social, droit de l’immobilier, etc.) et – surtout – le système judiciaire français est très différent du système américain… Le problème des idées préconçues sur les avocats se pose surtout sur un autre plan, beaucoup plus ennuyeux pour les victimes.

Selon ces idées, le recours à un avocat serait extrêmement cher, tous les avocats seraient très riches, et dès qu’on leur parle, ils feraient tourner une sorte de compteur invisible qui se traduirait par une note d’honoraires quelques jours après… C’est tout à fait faux.

Mais en croyant que c’est vrai, les victimes hésitent à venir consulter un avocat et donc risquent de ne pas voir leurs droits préservés et leurs préjudices réparés.

Donc… à tous les futurs avocats : il est essentiel de chasser les idées reçues, d’être indépendant et intègre et … d’être sensible à la perspective d’agir pour les autres. Tous les avocats prêtent serment, avant de pouvoir commencer à exercer pleinement. Ce serment est la base de nos règles déontologiques, qui guident notre exercice, au quotidien, et dont le respect est surveillé par l’Ordre des Avocats. Il s’agit du serment suivant, prononcé en public, dans l’enceinte d’un tribunal, et enregistré par les magistrats présents : « Je jure comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».

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