Adèle, est cordonnière bottière : une spécialiste de la chaussure

11/05/2017 Partager sur

Après avoir suivi une formation aux Compagnons du Devoir, Adèle est devenue cordonnière bottière. A travers cette interview, elle nous explique l’envers du décor de ce métier artisanal qui redevient d’actualité.

En quoi consiste votre métier ?

Je suis cordonnière bottière. L’année dernière je travaillais en Dordogne dans un atelier artisanal où l’on faisait essentiellement de la chaussure femme sur mesure de luxe. Actuellement je suis prévôt aux Compagnons du Devoir.

Cordonnier bottier c’est un métier très vaste qui va de la conception de la chaussure en passant par la fabrication, et la réparation. Ce métier touche aux chaussures et aux articles chaussants. Cela peut donc concerner de la chaussure ville homme ou femme, de la basket, du patin à glace, des rollers, des chaussons… En tant que cordonnier bottier, on touche à toutes les dimensions de la chaussure. Il est possible d’identifier 4 grands secteurs :

  • La réparation : il s’agit du commerce de proximité, pour donner une seconde vie à des chaussures abîmées et ajouter des accessoires que les gens aiment bien.
  • La podo-orthèse : c’est un aspect plus médical, cela va correspondre à de la fabrication pure et dure de chaussures avec des matériaux thermoformables (tissus, textiles, gommes…) avec des corrections pour les pathologies.
  • La botterie : elle correspond au secteur qui touche le plus au luxe. En effet, l’héritage du métier est l’artisanat pur. Nous nous retrouvons face à une clientèle fortunée, car le prix d’une chaussure sur mesure haut de gamme, dans un atelier parisien par exemple, démarre à 3000 euros. Ces prix élevés s’expliquent par le fait que nous utilisons des matières précieuses (des cuirs exotiques, crocodile, serpent, du fil d’or, des broderies, des plumes,…). Une relation à la clientèle particulière est aussi instaurée, avec plusieurs prises de rendez-vous, une prise de mesure… Ces chaussures peuvent être conçues pour des défilés ou pour des personnes fortunées. Dans ce cas tout est fabriqué à la main de A à Z.
  • L’industrie : ce secteur touche à la conception produit, à l’ingénierie de la chaussure où celle-ci va être pensée en termes de produit commercial. Il va falloir faire des études de marché, cibler les potentiels acheteurs, recevoir le produit sélectionné, réfléchir à un style, faire de la conception pour optimiser les coûts, faire des prototypes, faire des essais portés sur des panels de testeurs et faire toute la mise en production des chaussures et ensuite composer des chaînes de production.

Artisanalement, cordonnier bottier est un travail plutôt solitaire. Nous travaillons dans un petit atelier, et chacun va travailler à son poste individuellement sur sa partie. A l’inverse, dans l’industrie, nous allons plutôt composer une équipe car nous fonctionnons les uns avec les autres pour concevoir et monter le produit.

Dans ce métier, nous utilisons beaucoup d’outils. Quand on fabrique une chaussure traditionnelle, on utilise des râpes, des marteaux, des outils qui permettent de couper le cuir… Après on utilise aussi des machines (des bancs à poncer, des machines à coudre, des refendeuses, des pareuses, des presses…) et des outils informatiques (la conception assistée par ordinateur pour le patronage des pièces…).

Et concrètement si vous deviez décrire les principales tâches que vous effectuez au cours d’une semaine type ? 

Concevoir une chaussure suppose de passer par plusieurs étapes et donc plusieurs métiers. Un ingénieur produit, c’est-à-dire une personne qui va devoir réfléchir à un produit pour sa cible, va tout d’abord commencer par établir un cahier des charges. Le designer va, à partir de ce document élaborer le design, puis le patronnier va créer les pièces. Le prototypiste va s’occuper de fabriquer toutes ces pièces : il va les couper dans les matières appropriées, les préparer, les assembler, monter la chaussure en 3 dimensions. Il va faire des retours sur la pertinence des choix des matériaux, des suggestions d’améliorations. Il va également faire un retour sur la faisabilité du modèle en ce qui concerne le patronage, un retour sur les temps de fabrication pour la fiabilité économique du produit. Il va faire des essais grâce auxquels il va pouvoir mettre en œuvre différents types de matériaux et créer des produits.

Concernant le temps de fabrication, celui-ci est très aléatoire selon le modèle de la chaussure. Pour une ballerine, si le patronage est déjà fait, toute la conception peut être très rapide et peut prendre seulement quelques heures. Au contraire, pour un bottier il va falloir d’abord rencontrer le client, discuter du modèle, faire sa prise de mesure, fabriquer la forme de son pied en bois pour pouvoir ensuite réaliser le modèle, faire le patronage, découper les pièces… Dans ce cas, on part plutôt sur des délais qui se comptent en mois. C’est très variable.

Quant aux horaires de travail, elles dépendent aussi du secteur dans lequel on travaille. Quand je travaillais en industrie, dans une chaîne de production, mes horaires étaient les suivantes : de 7h45 à 16h avec une pause déjeuner de 45 minutes. Quand je travaillais chez Décathlon, je travaillais de 9h à 18h avec 2 heures de pause le midi. C’est donc très variable.

Quel a été votre parcours et votre formation pour arriver à ce métier ?

Au départ, j’ai fait un baccalauréat littéraire. J’ai ensuite fait une licence de lettres moderne. Durant ma dernière année à la fac, j’ai voulu changer d’orientation car je me suis rendue compte que ce cursus ne me convenait pas et que même si c’était intéressant je n’arrivais pas à me projeter complètement dans une orientation professionnelle. Je me suis alors recentrée sur ce qui me plaisait vraiment c’est-à-dire travailler avec mes mains, les activités manuelles.

J’avais entendu parler des Compagnons du Devoir. Cet établissement me faisait rêver pour la dimension du voyage, l’excellence de la formation, l’artisanat… Je me suis donc renseignée auprès d’eux et j’ai regardé tous les métiers qui été proposés (une trentaine). Je voulais vraiment en apprendre un qui avait une dimension artistique, qui permettait de travailler des matériaux qui étaient proches de mes goûts, des matériaux souples. Le cuir par exemple est un matériau qui me plaît, qui me parle. Je souhaitais aussi concevoir des produits à la fois utiles et beaux. Je me suis donc lancée dans la chaussure. J’ai fait un parcours de 6 années avec un apprentissage en 2 ans en botterie. Et ensuite pendant 4 années j’ai changé d’entreprise tous les ans, et j’ai travaillé dans tous les secteurs (la podo-orthèse, la botterie, la réparation, le sport, le luxe…). Je travaille depuis maintenant 7 ans.

Aujourd’hui, depuis septembre, je suis prévôt aux Compagnons du Devoir. Devenir prévôt est une des opportunités que les Compagnons proposent pour les jeunes qu’ils reçoivent. Quand les étudiants arrivent sur la fin de leur Tour de France, c’est-à-dire la formation par le voyage, ils peuvent devenir salariés de l’association des Compagnons du Devoir soit en tant que formateur soit en tant que prévôt. Un prévôt est un responsable d’un site, d’une maison Compagnon. Une cinquantaine de maisons Compagnon sont réparties en France et certaines ont des CFA. Personnellement, je suis prévôt de la formation, je m’occupe du centre de formation de Colomiers. Je gère 200 jeunes en formation, 13 formateurs métiers et je m’occupe de la production de la formation. Cela consiste notamment à faire en sorte que les locaux soient agréables pour accueillir les élèves, à s’occuper des équipements pédagogiques (les machines, les ateliers), à établir les budgets des matières premières, à faire de la coordination pédagogique, à organiser des rencontres avec les parents et les entreprises… Il est possible d’être prévôt pour une durée de 3 ans.

Quelles sont pour vous les qualités requises pour exercer votre métier ?

Tout d’abord, la qualité première est la créativité. Il faut être capable de repérer des choses dans son environnement pour pouvoir les réinterpréter, faire de belles productions. Cela implique d’avoir beaucoup de curiosité pour pouvoir toucher à tout, aller chercher le savoir.

Il faut aussi de la minutie, car pour la conception d’une chaussure, contrairement à un ouvrage de charpente qui va être vraiment de gros volume, il faut être très rigoureux et faire attention aux détails. Avoir le goût du challenge est aussi une des qualités à avoir car il faut pouvoir répondre à des contraintes techniques qui peuvent être importantes (par exemple, faire une réparation sur un talon de 12 centimètres avec une chaussure qui a 3 brides…). Il est alors nécessaire de connaitre la technique de la chaussure et être capable de relever des défis pour utiliser des matériaux et faire des assemblages particuliers. Il faut que la chaussure soit belle et qu’elle supporte toutes les contraintes techniques et physiologiques. On habille un pied mais la contrainte de la marche est aussi très importante. Enfin, il faut aussi avoir la vision dans l’espace car on passe d’un objet en deux dimensions, qu’il faut arriver à penser en trois dimensions.

Qu’est-ce qui fait que vous aimez votre métier ?

Dans mon métier j’aime la diversité. Si on se forme en profondeur dans la chaussure on peut travailler dans tous les secteurs et il est impossible de s’ennuyer dans ce métier. Par exemple, quand on est dans la conception, les bureaux d’études, on repart constamment sur la création d’un nouveau produit… J’aime aussi le fait que je ne conçois pas seulement une pièce esthétique et belle comme on peut le faire en maroquinerie où dans ce cas il n’est pas nécessaire de tenir compte de contraintes techniques et physiologiques. En tant que cordonnier bottier, il faut aussi considérer le rapport au corps. C’est à la fois gérer un aspect technique et esthétique car c’est un accessoire qui compte beaucoup pour une tenue.

Si vous aviez quelque chose à changer dans votre métier, ce serait quoi ?

Je changerais la rémunération. Au départ, pendant 2-3 ans, aucune évolution financière n’est possible. Le savoir-faire n’est pas suffisamment considéré, bien que de plus en plus rare. Un ouvrier en France ne va pas gagner beaucoup. Cependant, dès lors que l’on choisit de faire de plus longues études, le salaire augmente.

Dans mon cas, durant mon parcours, lorsque j’étais en alternance lors de mon apprentissage j’étais rémunérée. Par la suite, j’ai été payée au SMIC pendant 2 ans. Je souligne que je n’ai pas vraiment rencontré de difficulté pour trouver mon alternance. Il faut savoir que sur ce marché, il n’y a pas beaucoup de jeunes, il n’y a pas trop d’embauche en France mais cela s’équilibre, car il n’y a pas énormément de candidats.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut faire votre métier ?

Il faut être persévérant. Pendant un certain temps cela peut être un métier qui paraît ingrat car c’est très physique et long à apprendre. Mais quand on finit enfin à produire quelques chaussures et voir sa créativité qui prend forme c’est très satisfaisant. C’est un métier qui redevient d’actualité et qui est en devenir. Il y a un marché à prendre si on acquiert un savoir-faire solide.

Il ne faut pas non plus se projeter uniquement en France car à l’étranger il y a un énorme potentiel d’embauches et d’opportunités. Par exemple, l’énorme majorité des chaussures portées dans le monde sont fabriquées en Asie. D’ailleurs, dans le domaine du sport, ils ont un savoir-faire que nous nous n’avons pas. Dans le luxe, il peut être intéressant de se tourner vers des pays tels que l’Italie, le Japon, l’Angleterre. Dans le prêt à porter, cela peut être l’Espagne, le Portugal ou encore le Brésil.

 

Si vous avez d’autres questions n’hésitez pas à contacter Adèle ou d’autres pros du secteur Artisanat, Commerce de détail en vous inscrivant sur JobIRL :inscription

Je suis professionnel.le
Et si vous accompagniez des jeunes en manque de réseau ?

Qui mieux que vous peut parler de votre métier ?
En quelques heures par an, éclairez des jeunes dans leur parcours en échangeant avec eux !

Accéder à l’espace pro