Interview journaliste : Arielle Thédrel, reporter au Figaro

17/09/2020 7 minutesPartager sur
journalisme international

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Nous avons rencontré Arielle Thédrel, grand reporter au Figaro de 1982 à 2013. Elle raconte à JobIRL, le 1er réseau d’orientation des 14-25 ans, les anecdotes qui ont façonné son parcours et sa carrière.

Comment faire pour exercer ce métier ?

Tous les chemins mènent à Rome. La voie classique, c’est l’école de journalisme, accompagnée d’une formation telle qu’une licence en économie ou Sciences Po.

L’école la plus connue est le CFJ (Centre de Formation des Journalistes) à Paris mais il en existe beaucoup d’autres. J’ai suivi tout bêtement des études de lettres.

Ma maîtrise en poche, j’ai fait un an au CELSA. Certains de mes collègues sont passés par d’autres formations, HEC, cursus en langues orientales … J’ai même eu un collègue énarque, c’est assez rare mais tout est possible. Il faut savoir que dans ce métier, il y a beaucoup de candidats, mais peu d’élus. Il faut avoir la niaque. Et un peu de talent. Beaucoup s’installent à l’étranger et proposent des articles à un journal. Cela s’appelle « piger ». C’est une situation précaire mais qui peut déboucher sur un CDI.

Des petites missions avant d'entrer au Figaro ?

Après ma formation, j’ai travaillé brièvement pour le journal Le Républicain Lorrain à Metz et pour une agence de presse économique, Unicom, une filiale de l’agence américaine United press. De petits boulots. Ensuite, je suis entrée comme stagiaire au service spectacles du Figaro. A l’issue de de stage, j’ai obtenu un CDD puis un CDI. J’étais attirée par le culturel. On m’a parachuté au service étranger. Je ne connaissais pas grand chose à la politique étrangère et j’ai appris sur le terrain. Ça n’a pas toujours été facile, mais je ne regrette rien.

Quel est le quotidien d'un grand reporter ?

En presse écrite, on part seul.e à chaque fois, on se débrouille et ce n’est pas toujours facile.

Dans certains pays ou sur des conflits armés, on fait appel à un « fixeur » quelqu’un qui vit dans le pays et qui le connaît bien. Il nous sert de guide, d’organisateur, d’interprète. Il faut travailler vite, synthétiser encore plus vite les informations que l’on a recueillies pour être en mesure d’envoyer un article avant l’heure du bouclage. Et cela plusieurs jours de suite parfois. C’est speed. Mais il arrive aussi que l’on ait du temps.

Comment travailler face à une situation difficile ?

En Europe de l’Est, à l’époque communiste, il fallait composer avec la surveillance policière. Il y avait des micros partout. C’était risqué, pas pour moi mais pour les opposants que j’allais voir. Il fallait ruser parfois. Quand je me suis rendue en Algérie, au début des années 2000, la guerre civile s’achevait, mais il y avait encore beaucoup d’atrocités.

Un jour, je suis allée à Médéa, un ancien bastion islamiste dans l’Atlas, à une cinquantaine de kms d’Alger. C’est par là que vivaient les moines de Tibhirine, tous assassinés pendant la guerre civile. Deux jours auparavant, des islamistes déguisés en gendarmes avaient mitraillé puis incendié un autocar rempli d’étudiants. Aucun survivant. La carcasse de l’autocar gisait encore dans un fossé. Les journalistes étaient donc systématiquement accompagnés de policiers ou de gendarmes armés. Pour les protéger, mais aussi pour les surveiller.

Avez-vous déjà eu peur ?

Franchement non. Je pense que je n’avais pas de raison d’avoir peur. Ou bien j’étais inconsciente !

Quelles qualités requiert ce métier ?

Curiosité

Courage

Rigueur

Savoir écrire

Il faut savoir hiérarchiser et synthétiser les informations. Cela s’apprend. Savoir écrire aussi, surtout évidemment dans la presse écrite : être clair et donner au lecteur l’envie de lire un article jusqu’au bout. Ce n’est pas si évident.

Côté compétences, mieux vaut maîtriser des langues étrangères. L’anglais est impératif et une langue rare comme le chinois est aussi très appréciée.

Les rencontres qui ont formé votre parcours ?

Il y en a eu beaucoup en une trentaine d’années. De tous les milieux. Des hommes politiques comme Lech Walesa (président de la République en Pologne de 1990 à 1995), très charismatique; un champion du monde de boxe, Vitali Klitchko, aussi impressionnant que sympathique; un oligarque ukrainien, Viktor Pinchuk- il est très difficile d’approcher un oligarque, ils détestent la presse-; des intellectuels de renom; le grand cinéaste polonais Andrezj Wajda; des islamistes mais aussi des obscurs, des « misérables ». On n’a pas idée ce que c’est que la grande pauvreté. Tous ont quelque chose à dire d’intéressant. Il faut juste savoir écouter, avoir de l’empathie. Quand c’est possible.

Une fois en Pologne, j’ai rencontré un groupe de jeunes antisémites et homophobes. Ils considéraient l’homosexualité comme une maladie à éradiquer. Cela aussi, il faut l’écouter. Mais évidemment, écouter ne signifie pas approuver.

Quelles questions pose-t-on à Lech Walsea quand on est jeune journaliste ?

Des questions idiotes parce qu’on ne maîtrise pas tout. Et puis il faut savoir que Walesa n’a pas un discours très articulé. C’est un euphémisme ! Il parle vite et passe facilement du coq à l’âne. Mais il a un charisme incroyable. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Il est évident qu’il a joué un rôle considérable dans la chute du communisme en Europe de l’Est. Ensuite, en tant que président, il a fait pas mal de bêtises, mais je crois que les Polonais ont gardé énormément de tendresse pour lui.

Parlons de votre métier : "chasseur de scoop, reherche d'adrénaline"...

On a toujours envie de trouver une information que les autres n’ont pas quand on est journaliste.

Ça m’est arrivé lors de mon premier voyage en Algérie. Le gouvernement algérien avait décidé d’amnistier les islamistes repentis. Parmi eux, il y avait un certain Ali Benhadjar, un ancien instituteur devenu émir d’un groupe islamiste armé dans le maquis de Médéa. Un géant barbu très impressionnant. Beaucoup de journalistes cherchaient à le rencontrer et j’ai eu la chance d’être la première journaliste française à pouvoir le faire.

reporter

Un souvenir marquant ?

Il y en a beaucoup. Mes reportages dans le Sahara algérien. Un autre sur la mer d’Aral au Kazakhstan. Le passage du Mur de Berlin à Check Point Charlie durant la guerre froide. Un reportage sur le trafic d’opium au Tadjikistan le long de la frontière afghane. Un autre consacré à la conquête de l’Arctique dans le grand nord russe. Ma « rencontre » en 1986, avec Ceaușescu, le dictateur roumain.

Parmi les événements que j’ai couvert : en Europe de l’Est, la chute du communisme et la période de transition qui a conduit à l’intégration de ces pays dans l’Union européenne. Quand ces pays se sont normalisés, je me suis intéressée à l’espace post-soviétique : l’Ukraine, la Biélorussie, la Moldavie et l’Asie centrale. J’ai un peu suivi aussi la révolution tunisienne.


« Baigner dans sa passion au quotidien »


Ce n’est pas facile de concilier vie publique/vie privée parce que c’est un métier qui demande beaucoup de disponibilité. Dans un journal, on fonctionne 6 jours sur 7 et avec l’arrivée d’internet, c’est quasiment de l’information en continu.

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